Quelles alternatives au port du masque pour les personnes sourdes et malentendantes ?

En pleine pandémie de coronavirus, le port du masque est un obstacle à la communication pour les personnes sourdes et malentendantes. Des alternatives sont à l’étude, comme les masques à fenêtre.

Payer ses courses au supermarché ou aller chercher un colis à La Poste. Depuis le début du confinement, ces activités du quotidien, déjà complexifiées par les restrictions, se sont transformées en parcours du combattant pour Lucas Wild, Youtubeur et militant sourd de naissance. La raison : le port du masque qui l’empêche de lire sur les lèvres des personnes qui s’adressent à lui.

Jusqu’ici, Lucas, interprète du personnage de Camille dans la série Skamraconte à RTL.fr  avoir « deviné » ce qu’on lui disait lors de ses rares sorties, mais la généralisation annoncée de cette pratique en vue du déconfinement « l’inquiète ». Dans les transports, les entreprises, les établissements scolaires : partout où il est impossible de respecter les mesures de distanciation physique, le port du masque sera obligatoire pour empêcher la propagation du coronavirus. « Ce n’est pas du tout adapté pour les sourds », déplore-t-il.

Dès les débuts de la crise sanitaire la Fondation nationale des Sourds de France (FNSF) dit avoir identifié le port du masque comme « un obstacle majeur ». « Nous avons reçu des témoignages de personnes sourdes qui ont eu des difficultés à comprendre et à se faire comprendre quand elles sont face à une personne portant un masque (commerces, médecins..) », explique-t-elle à RTL.fr. Aujourd’hui l’association travaille en collaboration avec le Comité Interministériel au Handicap (CIH) pour développer des alternatives aux masques grand public, accessibles aux personnes sourdes et malentendantes.

Des masques à fenêtre ?

Parmi les solutions étudiées « de très près » par le CIH : des masques à fenêtre qui rendent la bouche et les lèvres visibles. « Certains sont actuellement en phase de test », explique Céline Poulet, secrétaire générale du comité à RTL.fr. Sans pouvoir donner de date exacte de résultats, celle-ci explique qu’il s’agit d’une « procédure d’urgence » mobilisant tous les acteurs du milieu. Parmi eux : la Direction Générale de l’Armement (DGA) et l’Afnor, l’association française de normalisation, dont les patrons servent notamment à fabriquer des masques en tissus. Ces deux instances sont chargées de donner leur accord (ou non) pour une commercialisation après avoir mené les tests de filtration et de respiration.

À Lyon, l’entreprise Odiora se prépare à une homologation de ses modèles. Chaque jour, Nathalie Birault, sourde et créatrice de la marque qui commercialise initialement des bijoux pour appareils auditifs, peaufine ses patrons avec sa machine à coudre. « Les masques sont fabriqués en coton, et la fenêtre en PVC, explique-t-elle à RTL.fr. Je mets des lanières qui vont entourer la tête, plutôt que des élastiques pour éviter d’interférer avec les appareils auditifs. » En attendant leur homologation, son associé Bruno Savage et elle offrent un de ces masques pour toute commande sur leur site et réfléchissent à développer leur production de manière industrielle.

Plus au Sud, une initiative similaire a vu le jour à Toulouse. De là-bas, Anissa Mekrabech a lancé une campagne de financement participatif pour l’aider dans son projet de production d’un masque à fenêtre. « Au début de la crise sanitaire, je me suis souvenue avoir entendu parler d’un masque commercialisé aux États-Unis (celui-ci ne respecte pas les normes françaises, NDLR) et je me suis dit qu’on en aurait besoin aussi ici« , explique à RTL.fr cette trentenaire devenue sourde lorsqu’elle était enfant.

« Pouvoir lire les expressions du visage concerne tout le monde », Anissa Mekrabech

C’est un déplacement à la pharmacie qui l’a décidée à se lancer dans l’adaptation de ce modèle américain aux normes françaises. « La communication a été très compliquée par la distance, le personnel était masqué derrière une vitre en Plexiglas… Habituellement je lis sur les lèvres, mais là impossible. »

Sa cagnotte disponible sur le site GoFundMe a récolté plus de 16.000 euros. Anissa espère désormais pouvoir obtenir elle aussi l’homologation de la DGA et de l’Afnor avant de pouvoir commercialiser ses masques. En attendant, elle reçoit énormément de soutien de la part de personnes sourdes, malentendantes mais aussi entendantes. « Ça va au de-là de la surdité, pouvoir lire les expressions du visage concerne tout le monde », explique-t-elle.

Des solutions pour tous

C’est dans cette même perspective générale que le CIH réfléchit à un autre équipement de protection individuel (EPI) : les visières en plastique. Habituellement utilisées dans le cadre du travail pour protéger les yeux et le visage, celles-ci permettraient à la fois aux personnes sourdes et malentendantes de communiquer, mais également à toutes les personnes pour qui le port du masque est difficile, de se protéger du coronavirus.

« Utiliser un masque est compliqué : il faut le positionner, ne pas le toucher, le mettre immédiatement à la poubelle ou le laver à la machine », explique Céline Poulet du CIDH. « Avec la visière, ce qui est intéressant, c’est qu’on ne touche pas son visage ni quand on la porte ni quand on la met. Et, lorsqu’on a terminé de l’utiliser, elle est plus facile à désinfecter. »

Certaines enseignes de supermarchés ont déjà commencer à équiper leurs employés, explique Céline Poulet. Un premier pas vers plus d’inclusivité dont elle se félicite, car, elle le reconnaît, le masque rend le quotidien des personnes sourdes et malentendantes « angoissant ». Elle cite l’exemple d’un contrôle policier. « Certaines personnes concernées m’ont dit qu’elles avaient peur de sortir de chez elles, par peur de se faire contrôler, de ne pas comprendre le policier ou la policière, et qu’il ou elle ne comprenne pas que cette personne ne la comprenne pas. »

« Il faudrait que la population soit sensibilisée et connaisse les bases de la langue de signes », Fondation nationale des Sourds de France

C’est cette impatience des personnes entendantes qui inquiète aussi Lucas Wild – qui trouve tout de même l’idée des masques à fenêtre « super ». « Ça va être bizarre de reprendre la vie après deux mois, explique l’acteur et militant. J’ai un peu peur que les personnes aient changés et qu’elles soient moins compréhensives ou attentives. »

Au début du confinement, la communauté des sourds et malentendants avaient déjà fait les frais de la stigmatisation lorsque certains internautes s’étaient moqués de la traduction en langue des signes ou des sous-titres des discours d’Emmanuel Macron. Lucas Wild et se co-actrice Winona Guyon avaient alors participé à une campagne sur les réseaux sociaux avec le hashtag #NousNeSommesPasUnDivertissement« J’espère qu’après la crise, la solidarité sera plus forte qu’avant », souhaite Lucas.

D’ici la commercialisation des masques à fenêtre – dont on ne connaît rien des modalités de distribution ni le prix de vente final – il encourage les personnes entendantes à communiquer à l’écrit et à mimer autant que possible. Mais selon lui la meilleure solution reste de parler la langue des signes (LSF). Un avis partagé par la FNSF : « Il faudrait que la population soit sensibilisée et connaisse les bases de la LSF, explique l’association. Ceci pourra vraiment nous rassurer. »

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