« On n’était pas prêts » le désarroi d’un soignant en service de réanimation:

Il travaille dans un service de réanimation dans le Finistère, auprès des patients du Covid-19. Une expérience bouleversante et hors du commun qu’il accepte de raconter.

Il n’a pas souhaité donner son prénom. Pas autorisé officiellement à raconter son quotidien, lui qui est pourtant au cœur de la lutte contre l’épidémie. Alors, nous l’appellerons Louis. Il travaille dans un service de réanimation du Finistère et il voulait raconter cette expérience « complètement folle » qu’il vit, auprès de ses collègues du service et des malades du Covid-19.

« On a connu une vague très différente de ce que l’on voit ailleurs, dans le Grand Est ou en région parisienne. Les entrées massives, dès le début de l’épidémie, on n’a pas connu ça. Chez nous, c’est arrivé progressivement. C’est une vraie chance, parce qu’on n’a jamais eu de gros bouchons aux urgences, d’entrées en catastrophe en réanimation. » Pour lui, c’est le confinement « qui a vraiment sauvé les choses ».

Son service a pris en charge des malades locaux mais aussi des personnes transférées en train et en avion depuis les zones en tension. C’est, d’ailleurs, ce moment-là qui a été le plus impressionnant. « Jusqu’ici les malades arrivaient tranquillement, par les urgences ; là on les a eus tous en même temps. »

« C’était le folklore ! »

Mais c’est loin d’être des vacances. Congés annulés, gardes à répétition… Louis tient, « mais il ne faut pas que ça dure six mois », souffle-t-il. Dans le service, les conditions de travail ont complètement changé. « Au début, c’était le folklore ! Nous, habitués à avoir nos connaissances, les recommandations écrites des sociétés savantes, nos repères, là on ne savait pas du tout comment faire. On recevait des appels de nos collègues de Paris ou de l’Est qui nous disaient : « Nous, on a essayé ça, ça a fonctionné. » Et puis il y a eu l’histoire de la chloroquine. L’étude ne vaut pas grand-chose, mais on s’est dit, c’est tellement grave, peut-être faut-il tout essayer… »

Le matériel a ensuite rapidement manqué. « Les masques, les protections individuelles, maintenant ce sont les médicaments. On ne sait pas trop où on va. On avait des stocks. C’est l’Agence régionale de santé qui les répartit, mais chaque hôpital joue un peu au bluff pour en obtenir, au cas où. »

« Le coma artificiel nécessite beaucoup de médicaments »

Or, les besoins sont énormes. « Le maintien en coma artificiel très prolongé, 15-20 jours pour les patients Covid-19, nécessite énormément de médicaments anesthésiques. L’atteinte pulmonaire est tellement sévère, pour que le poumon cicatrise nous devons maintenir le patient sous respiration artificielle longtemps. » Il raconte avoir eu affaire à des patients qui semblaient aller de mieux en mieux. « Mais dès qu’on a voulu les sortir du coma, leur état s’est dégradé en flèche. » Les poumons se réinfectent très vite.

« On n’a jamais vu ça. On veut faire un pas en avant, on se retrouve à en faire deux en arrière… On n’était pas prêts », souffle-t-il.

Alors, les nuits sont agitées. Le sommeil est précaire. La confusion et l’urgence hantent les rêves. « Au début, on a peur d’être contaminé. De transmettre la maladie à nos proches. » Finalement, aucun signe de contamination dans le service.

« Ce qui est dur, c’est pour les familles des malades. Nous avons mis en place un système permettant de leur donner souvent des nouvelles. Mais c’est très compliqué de ne pas voir son proche, c’est difficile d’imaginer une situation grave… »

« J’ai peur que cela ne change rien »

Maintenant, sa crainte, c’est celle d’un déconfinement trop rapide, qui emporterait à l’hôpital une nouvelle vague, plus haute encore, de malades.

« Macron se félicite de sa gestion de la crise. C’est vrai qu’on a été réactifs : faire décoller des avions pour transporter les patients des zones sous tension. Ouvrir des lits en catastrophe. Mais je reste étonné de voir qu’il manque des masques, ou des trucs aussi bêtes que des pousse-seringues électriques. »

Alors, si les applaudissements des gens lui « font toujours plaisir », ceux des politiques le font doucement sourire. « Nous avons fait grève, la ministre se fichait totalement de nos revendications. Les hôpitaux sont gérés de façon entrepreneuriale. J’ai peur que cela ne change rien, après le déconfinement. »

Le désarroi d’un soignant en service de réanimation source : Ouest France