FIGAROVOX/TRIBUNE – Auditionnée par la commission d’enquête parlementaire sur la gestion de la crise, l’ancienne ministre Agnès Buzyn a mis en cause son administration. L’avocat Fabrice Di Vizio rappelle que selon la Constitution, celle-ci reste cependant subordonnée au pouvoir politique.
«Nous sommes en guerre» disait le 16 mars dernier le chef de l’État, annonçant le confinement de la population. L’emploi du champ lexical martial se révèle d’une particulière acuité à la lumière de l’audition de Agnès Buzyn par la commission d’enquête parlementaire.
C’est la Constitution du 4 octobre 1958 qui lie la force armée et l’administration, et prévoit aux deux premiers alinéas de son article 20 que: «Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l’administration et de la force armée.»
Elle pose ainsi le principe de la subordination de la force armée et de l’administration au gouvernement. Ce principe a été confirmé par le Conseil constitutionnel qui a indiqué qu’il résultait de cet article que «le Gouvernement décide, sous l’autorité du président de la République, de l’emploi de la force armée» (décision n° 2014-432 QPC du 28 novembre 2014).
L’armée et l’administration sont contrôlées par le gouvernement, lui-même contrôlé par le Peuple souverain.
La subordination de l’administration au gouvernement n’a quant à elle pas été expressément reconnue par le Conseil constitutionnel, mais elle ne soulève pas de difficulté tant la lettre de la Constitution est claire et tant le principe, consacré à la Révolution est ancien et admis.
Cette subordination affirmée procède d’une volonté assumée du Général de Gaulle d’éviter les errements de la IIIe et de la IVe République ou, disait-on alors, «les ministres passent, l’administration reste». Force est cependant de constater que cette maxime s’applique toujours sous la Ve République. Il s’agissait de réaffirmer le principe selon lequel l’armée et l’administration sont contrôlées par le gouvernement, lui-même contrôlé par le Peuple souverain.
Ce principe confère à chacun des ministres une autorité sur les services administratifs. Elle est hiérarchique et tout à la fois organique, en ce qu’elle oblige le ministre à organiser le service et d’en nommer les agents, et fonctionnelle en ce qu’elle l’oblige à en diriger l’action.
En opposition totale avec ce principe de subordination, Madame Agnès Buzyn, a affirmé, face à une commission d’enquête parlementaire médusée, qu’il n’en est rien au sein du ministère de la Santé.
Elle affirme ainsi notamment n’avoir jamais eu connaissance de la note de Santé Publique France au directeur général de la santé du mois de septembre 2018 alertant sur le manque de masque, ou encore ignorer que la production mondiale de masques est dépendante de la Chine: ces choses-là ne remontent pas au ministre, a-t-elle dit!
Pour filer la métaphore militaire, imaginerait-on un ministre de la Défense dire au lendemain de la défaite: «J’ignorais tout du nombre d’armes lourdes: ces choses-là ne remontent pas au ministre.» ? Bien sûr que non tant il est constant que nous serions face à un scandale sans nom!
Aucun député de la nation n’a rappelé à l’ancien ministre qu’elle ne pouvait plaider son irresponsabilité car son statut l’en empêchait !
Mais en matière de santé, c’est manifestement différent. De deux choses l’une, soit Madame Buzyn dit vrai et il est urgent de refonder l’administration et de réaffirmer avec urgence le principe de la subordination de celle-ci au gouvernement, soit elle dit faux et c’est tout aussi grave.
Soit encore, la vérité se trouve entre les deux. Ainsi, l’administration, qui tient une place considérable dans notre système, s’est-elle peut être arrogée les prérogatives tenues par les ministres, ces derniers étant trop occupés à des fonctions de politique politicienne, plutôt qu’à la diriger.
C’est le sentiment d’une capitulation qui ressort de l’audition de Madame Buzyn, celle de l’État de droit, et on enrage qu’aucun député de la nation n’ait rappelé à l’ancien ministre qu’elle ne pouvait plaider son irresponsabilité car son statut l’en empêchait!
C’est devant une commission d’une étonnante bienveillance que Madame Buzyn a comparu, et d’ailleurs, littéralement, elle n’a pas comparu devant, mais à côté, au même rang que la présidente et le rapporteur de la commission d’enquête, marquant ainsi le strict rapport d’égalité que résumerait assez bien la formule: ni responsable ni coupable.
Ce n’est pas au combat que l’on doit inventorier ses munitions et compter ses soldats.
Pourtant, hier, tout le monde était coupable: Madame Buzyn de se complaire dans la méconnaissance de l’étendue de ses devoirs, le parlement pour ne pas avoir rappelé avec force que dans un État de droit, le ministre a des devoirs, et il les tient de la constitution!
Ce n’est pas au combat que l’on doit inventorier ses munitions et compter ses soldats. Selon la locution latine bien connue «si vis pacem, para bellum», il importe de se préparer au pire sur le plan sanitaire afin d’éviter qu’il ne survienne, c’est là encore l’application d’un principe juridique constant: le principe de précaution qui sonne comme une obligation.
La guerre, une chose trop grave pour la confier à des militaires disait Clémenceau. Madame Buzyn n’a-t-elle pas compris que la santé était chose trop grave pour la confier à l’administration?
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